Oui, on peut guérir de la boulimie et de l'anorexie ! Mais le combat est long et difficile. Des médecins expliquent comment sortir de l’enfermement dans lequel se débattent les femmes souffrant de ces troubles alimentaires. Si chaque histoire est singulière, les thérapeutes ont néanmoins réussi à dégager des conseils précieux pour tous.
La vie est devenue un enfer, le trouble alimentaire insupportable. « Je n’avais plus le courage de faire quoi que soit ». Émilie, 24 ans, comme beaucoup d’autres, a pris la décision de se soigner. Mais comment et vers qui se tourner ?
« Il faut cesser d’opposer les approches, mais les juxtaposer pour plus d’efficacité thérapeutique », insiste le Pr Vincent Dodin, psychiatre.
Le suivi médical et la rééducation nutritionnelle permettent de soigner la dénutrition, qui survient aussi bien dans l’anorexie que dans la boulimie avec vomissement.
S’inscrit en parallèle la psychothérapie, association de thérapie individuelle d’inspiration analytique, de thérapie familiale, de thérapie de groupe, ou de thérapies comportementales et cognitives. Il s’agit de revisiter les faits de son histoire qui ont pu être douloureux et générer des blocages, des phobies ou des inhibitions.
« Aider la personne à comprendre ce qui a pu se passer et se construire en elle pour qu’elle en arrive à un tel comportement,explique la psychothérapeute Sophia Ducceschi. Au fil des séances, le maillage de la mésestime de soi se défait. »
La thérapie revisite également les représentations erronées concernant l’équilibre alimentaire, le poids, la manière dont la nourriture se répartit sur le corps, celle dont on se perçoit par rapport aux autres...
1. Rétablir les rythmes biologiques
Pour le Dr Colette Combe, la chronobiologie permet de corriger le chaos des premiers symptômes associés à la boulimie comme à l’anorexie.
« Elles sont souvent étonnées que je sache qu’elles souffrent aussi de troubles du sommeil », constate la spécialiste, qui conseille de manger et de se coucher à des heures régulières, en remontant l’heure du coucher, demi-heure par demi-heure.
« Ce cadre m’a rassurée, témoigne Émilie. On lâche sur certaines choses, on reprend le contrôle sur d’autres ».
2. Acquérir la patience
Les petites victoires sont très progressives, et au début surtout, il faut accepter d’avancer pas à pas.
« Il ne faut pas chercher la perfection, être dans le tout ou le rien, mais plutôt faire l’expérience que de petites améliorations changent tout, observe le Dr Combe.
« Dans le cas de la boulimie, perdre un kilo ou deux, et l’on respire mieux. En prendre un tout petit peu, et les pensées anorexiques sont moins fortes.
Le début du changement, c’est faire l’expérience de l’échec, c’est une leçon qui permet de s’améliorer. La seule qualité qu’il faut avoir, et elle dépend de la motivation, c’est d’être régulier dans des efforts accessibles et réalisables ».
Repérer les avantages qu’il y a à pouvoir sortir de cette maladie entretient la motivation.
3. Parler de ses difficultés
« L’anxiété naît de ne pas avoir compris que l’erreur, la défaillance s’examinent et se pensent », dit le Dr Combe. La psychiatre propose de parler de ces échecs avec un ami, un proche ou un thérapeute dans l’intention d’en tirer “les leçons de l’expérience”.
« Parler comme on rêve à deux, mettre des images symboliques des vécus sur les émotions et les ressentis est le début du traitement du trouble, les images soignent, les métaphores nourrissent », explique-t-elle.
4. Faire des projets
« Imaginez ce que vous attendez de votre vie, vers quoi vous mènerait votre désir de vie si vous n’étiez pas malade. Ne vous souciez pas si cela est réalisable ou pas.
« Qu’est-ce que vous vous souhaitez pour les cinq ans qui viennent ? » demande à ses patients Colette Combe, qui sait qu’on ne guérit d’un trouble que si l’on devient plus libre d’être soi-même.
D’être dans ses désirs, même si cela signifie changer d’orientation, de métier, de compagnon.
« Je témoigne que ceux qui ont guéri ont osé être eux-mêmes, quitte à être “le vilain petit canard” de la famille »,poursuit la spécialiste. La maladie ne s’inscrit plus comme une identité.
5. Rencontrer ceux qui vont mieux
Voir des personnes qui ont vraiment guéri, des femmes qui ont des enfants, est encourageant.
« Tant qu’on ne les a pas vues, on a du mal à y croire », dit Émilie.
6. Manger autrement pour réduire les crises de boulimie
Le Dr Combe conseille d’ajouter des féculents et des protéines à chaque repas pour réduire la fréquence des crises.
C’est la raison pour laquelle elle oriente vers un petit déjeuner à l’anglo-saxonne, avec du pain et des protéines : fromage, fromage blanc, jambon ou œuf.
« Je ne donne aucune notion de quantité, préférant jouer sur la qualité. »
La viande permet, en outre, de réintroduire la symbolique de mâcher, de mordre la vie. « Refaire vivre les dents et le mordant, dans la vie, plutôt qu’engloutir, permet de reconstruire l’oralité. »
7. Redécouvrir la satiété
La fin de repas est normalement déclenchée par le fait que l’estomac est plein. « Ce n’est pas le cas chez quelqu’un dont l’estomac est dilaté, il n’arrive pas à s’arrêter, dit Colette Combe.
« La première chose est de réduire la taille de l’estomac : ne pas boire en même temps que l’on mange, et ne pas se dilater l’estomac avec des aliments hypocaloriques (yaourts, pomme, crudités, salades vertes). La deuxième, de manger des aliments nourrissants au sens énergétique du terme, féculents et protéines. »
8. Partager ses repas
« Pour la plupart des personnes boulimiques, c’est plus facile de manger avec quelqu’un que seule.
« Si ce n’est pas le cas, je conseille de faire des pauses, d’écouter de la musique par exemple. Le repas doit être un moment heureux et calmant », dit le Dr Combe.
9. Anticiper les situations délicates
Repérer les émotions fortes, tristes ou joyeuses, qui peuvent déclencher des crises permet d’anticiper les situations délicates et de mettre en place des stratégies pour les éviter.
Certaines sont plus faciles que d’autres à éliminer, commencer par les premières est un bon début.
10. Se reconnecter au corps
« Dans ces pathologies, le corps n’est pas seulement malmené, il est nié. Réaliser et accepter qu’il existe est une façon de se soigner », révèle Sophia Ducceschi.
L’idée est donc d’introduire un soin du corps qui soulage, qui détend, qui fait du bien : massage, sophrologie,ostéopathie, yoga, tai-chi, institut de beauté, hammam...
« Ces activités permettent de se recentrer sur le corps, vivant, palpitant, qui a des rythmes. Elles “obligent” à prendre le temps d’être à l’écoute de son corps », explique le Pr Dodin.
11. Faire disparaître les vomissements
« Dans le cas le plus heureux, la motivation, les projets, l’envie d’être comme les autres, suffisent à les réduire. Si ce n’est pas le cas, il faut les éroder un à un, diminuer de quatre à trois, puis de trois à deux crises par jour ou par semaine...
« Quand il n’y a plus de vomissements pendant trois semaines, c’est fini. On s’aperçoit que l’on retrouve son énergie et son équilibre émotionnel », note Colette Combe.
12. Dépasser sa déception
“Ça ne passe pas”, “Je l’ai en travers de la gorge”, “Je n’arrive pas à l’avaler”... des expressions qui soulignent la symbolique de l’alimentation.
« Un fait difficile à encaisser peut se manifester par une gêne à se nourrir, dit le Dr Combe.
« C’est un état de crise, forme simple de la crise d’adolescence, manifestation de protestation ou réaction à la déception vis-à-vis des adultes. Or, la déception, l’injustice font partie de la vie d’adulte. Savoir que si l’on se referme dessus, elles s’aggravent, suffit souvent à l’assimiler. En parallèle, il faut donner le goût de croire que l’on peut inventer autre chose. »
13. Manger peu, mais manger bien
Il s’agit de réintroduire les protéines et les féculents, en petites quantités au moins au début, pendant deux à trois semaines : un demi-steack, trois cuillerées à soupe de riz cuit, de pâtes ou de purée, et troquer les yaourts par un morceau de fromage, chèvre, brebis, gruyère, plus nourrissant.
En sachant que « les protéines ne font pas grossir et qu’elles donnent de l’énergie pour disposer de sa volonté », explique le Dr Combe.
Pour ce qui est des féculents, « c’est revenir à la première alimentation de l’enfant, c’est donc facile d’y réhabituer un tube digestif qui ne mange plus depuis un certain temps ».
Les personnes anorexiques ne peuvent pas se réalimenter comme les autres si aisément, les microvillosités de l’intestin, sorte de tapis sur lequel les aliments sont coupés en molécules, étant atrophiées.
En outre, attribuer des objectifs réalisables donne confiance dans la capacité à les atteindre car très vite, il y a une renutrition qui permet de sortir du brouillard.
Cette étape passée, il est proposé d’augmenter la quantité des aliments, de varier les menus, les textures et les goûts.
14. Comprendre la prise de poids
Au début, comme lors de la puberté, la prise de poids n’est pas harmonieuse.
« Le corps perd son aspect osseux, il s’arrondit. Cette transformation fait d’autant plus peur qu’elle n’est pas jolie,témoigne Émilie.
« Heureusement, ma thérapeute m’a de nombreuses fois rassurée et répété que cela était transitoire, qu’à terme les lignes et les courbes seraient plus harmonieuses. Cela m’a aidée à m’accepter à me regarder, à ne pas relâcher mes efforts, à me dire que ce petit ventre qui poussait, c’était le mien et qu’il m’irait peut-être bien ! »
15. S’ouvrir à l’extérieur
Il est important d’ouvrir une autre fenêtre sur sa vie que les études, le métier, ou la famille.
Aller vers la musique, le chant, le dessin, le théâtre, les jeux de société permet de découvrir la relation à l’autre pour en avoir moins peur. Et de se découvrir.