Les neuropsychologues utilisent les multiples facettes de la mémoire pour améliorer l’autonomie des victimes d’une lésion cérébrale.
Le 27 mars 1985, Clive Wearing,un pianiste britannique, contracte une encéphalite. La maladie provoque une amnésie foudroyante. Toutes les 30 secondes, son passé est entièrement effacé de sa mémoire.
Depuis ce jour, dans son journal intime, le musicien consigne inlassablement une seule et unique expérience existentielle: «Je viens, à l’instant, de prendre pleinement conscience de moi-même.»
Etonnamment, dès qu’il s’assied à un piano, Clive Wearing est capable d’exécuter à la perfection les morceaux de musique qu’il avait appris avant son amnésie. «En fait, il existe plusieurs mémoires. Notamment la déclarative et la procédurale. La première traite des connaissances que nous pouvons transmettre verbalement. La seconde met en jeu ce que nous appelons: des habilités. Typiquement, la maîtrise d’un instrument de musique», explique le Dr Radek Ptak, neuropsychologue au service de neurorééducation.
Déclarative ou procédurale, visuelle ou auditive, à court terme (quelques secondes) ou à long terme (après quelques minutes, etc.), les mémoires ne sont pas localisées en un endroit unique du cerveau. Par conséquent, chaque lésion, selon sa nature et son emplacement, affecte différemment les capacités cognitives du patient.
Agenda
Agenda d’une patiente. En l’absence d’une stratégie adéquate, l’utilisation d’un support matériel ne suffit pas à palier le déficit cognitif.

Encodage et stockage

«Schématiquement, on peut distinguer les troubles liés à l’encodage des informations de ceux qui ont trait au stockage. Dans le premier cas, nous élaborons des stratégies mnémotechniques pour renforcer l’acquisition des données. Dans le second, c’est plus compliqué, car les traces de mémoire s’effacent progressivement et le patient n’est souvent pas conscient du problème», reprend le Dr Ptak.
Dès lors, le neuropsychologue appuie sa thérapie sur la mémoire procédurale. Par la répétition quotidienne d’un geste, il s’efforce d’ancrer chez le patient une habitude utile dans sa vie de tous les jours. Comme l’utilisation d’un agenda papier ou électronique. «La fonction atteinte est remplacée par une autre, intacte. C’est une forme de plasticité», conclut le Dr Radek Ptak.

«J’entraîne ma mémoire»

Anne*, 42 ans, svelte Romaine aux yeux bleus, et maman de trois filles adolescentes, a encore des séquelles de sa récente rupture d’anévrisme (éclatement d’un vaisseau dans le cerveau). «Je me souviens très bien d’événements antérieurs à un an ou plus. Mais j’oublie encore souvent ce qui s’est passé il y a cinq minutes», témoigne-t-elle.
Après son opération aux HUG fin 2011, elle a entrepris un programme de rééducation avec le Dr Radek Ptak et une logopédiste, Marie Di Pietro-Bachmann. «J’entraîne ma mémoire et ma vélocité mentale. J’ai appris aussi à utiliser des plannings hebdomadaires et journaliers. Je fais des progrès. Vous savez, j’ai vécu longtemps à Rome et à Londres. Genève est sûrement l’un des meilleurs endroits au monde pour faire un accident vasculaire cérébral», dit-elle dans un grand sourire.
* Prénom fictif

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Pulsations - mars-avril 2012