AVIS D'EXPERT - La chirurgie bariatrique est une option intéressante pour les mineurs, en respectant certaines mesures de prudence, explique le Dr Patrick Tounian, chef du service de nutrition et gastro-entérologie pédiatriques de l'hôpital Trousseau, secrétaire général de la Société française de pédiatrie (SFP).


Des by-pass gastriques pour des adolescents obèses? Il y a dix ans seulement, l'idée faisait bondir parents et spécialistes de la santé français. Et puis, elle s'est installée, au même rythme que la progression du nombre de jeunes souffrant d'une forme extrême d'obésité, c'est-à-dire dont l'indice de masse corporelle (IMC: calcul de l'IMC: le poids divisé par la taille au carré) est supérieur à 40 - on estime que leur nombre aurait été multiplié par 4 depuis les années 1980, même si les statistiques sur le sujet sont rares. Une quinzaine d'adolescents se font ainsi opérer chaque année dans le service spécialisé de l'hôpital Trousseau. Certes, nous sommes encore bien loin des États-Unis, où plusieurs milliers de jeunes ont déjà bénéficié de ce type de chirurgie, dite «bariatrique», depuis les années 1990, mais la tendance est là. Le Congrès des sociétés françaises de pédiatrie, organisé à Lyon du 22 au 24 mai, y consacrera d'ailleurs une table ronde.
A priori, il n'y a pas de quoi se réjouir: si le nombre d'opérations augmente, c'est que celui des candidats croît aussi. Et pourtant, il s'agit incontestablement d'une bonne nouvelle. D'abord parce que les traitements classiques de l'obésité, basés sur un régime alimentaire restrictif et de l'activité physique, ont montré leurs limites chez les adolescents. Cela se comprend aisément: demander à un patient souffrant d'obésité de se limiter à une part de pizza alors que son cerveau l'encourage à la manger entière revient à lui demander de lutter en permanence contre sa nature, sa constitution. Et ce combat, même les adultes ont du mal à le mener. La chirurgie, elle, force le système et modifie le champ de bataille. C'est la raison pour laquelle elle est efficace: le by-passet l'anneau gastrique, les deux techniques les plus utilisées, permettent à la fois de réduire significativement l'excès de poids et de limiter les comorbidités associées (syndrome d'apnées du sommeil, hypertension artérielle, diabète de type 2, etc.).

Terrain «à risque»

Mais encore faut-il prendre quelques précautions. Car les statistiques sont là: 1 jeune sur 200 risque de mourir des suites d'une telle opération. Non parce que le chirurgien est incompétent, mais parce que le terrain est dit «à risque» du fait de l'importante surcharge pondérale. Cela explique que, naturellement, ce type de traitement ne soit pas envisagé pour des enfants de moins de 12 ans ou en cas d'obésité peu sévère (IMC inférieur à 35) non compliquée, et cela même aux États-Unis. Selon les recommandations américaines, sont même exclus les adolescents ayant un développement pubertaire inachevé ou une taille inférieure à 95 % de celle attendue à l'âge adulte, par exemple. Cela explique aussi que, même si de plus en plus de centres et hôpitaux se «positionnent» sur ce type d'opérations, plutôt attractives financièrement depuis la mise en place de la tarification à l'activité (T2A), il est fortement conseillé aux parents de poser certaines questions avant de donner leur accord…
Sur le suivi préopératoire, d'abord. Le chirurgien se dit prêt à opérer dans le mois? Voilà qui devrait susciter quelques suspicions. Pour préparer correctement un adolescent à la chirurgie, il est en effet indispensable qu'une équipe pluridisciplinaire de professionnels (pédiatres, chirurgiens, psychologues, diététiciens) réalise un suivi préopératoire d'au moins six mois - ce suivi pouvant comprendre l'organisation de groupes de discussion en présence d'adolescents ayant déjà subi l'opération. Non pour le plaisir de faire durer l'attente. Mais parce qu'il est nécessaire de bien évaluer la situation médicale du patient, de rechercher d'éventuels troubles graves du comportement alimentaire ou de troubles psychologiques contre-indiquant la chirurgie, d'évaluer la motivation du jeune, sa capacité à respecter des règles nutritionnelles contraignantes après l'opération, ses attentes, ses craintes, le soutien que peuvent lui apporter ses parents et frères et sœurs, etc. Et cela prend du temps. Ce temps qui permet aussi à l'adolescent de revenir éventuellement sur sa décision s'il ne se sent pas prêt.

Un suivi à long terme indispensable

Sur le suivi postopératoire, ensuite, tout aussi déterminant pour la réussite finale du traitement… Combien de temps durera-t-il? Sur quelle durée? Il est en effet indispensable que la perte de poids, le statut protéique et vitaminique ainsi que les habitudes alimentaires notamment soient suivis régulièrement… et à vie. Durant les deux premiers mois, les aliments doivent ainsi être mixés, et l'adolescent ne peut boire durant les repas. Il doit ensuite éviter les morceaux, les boissons gazeuses et l'alcool.
Les risques, s'il ne respecte pas les règles, sont d'ordre nutritionnel (carences) ou mécaniques (blocages alimentaires). Surtout - et c'est une des contraintes que les adolescents opérés ont le plus de mal à respecter -, il est indispensable qu'ils prennent des suppléments en vitamines et minéraux… à vie également! Du moins tant que la recherche n'aura pas découvert un moyen de guérir autrement leur obésité et de permettre la remise en place du tube digestif dans son état initial. Dans une étude récente portant sur 41 adolescents opérés (avec mise en place d'un by-pass pour la majorité), seuls 27 % continuaient à prendre leur supplément vitaminique au bout de six mois, créant ainsi de forts risques de carences.
Des by-pass gastriques pour les adolescents souffrant d'obésité sévère? Oui. Il suffit de voir combien ses techniques peuvent leur changer la vie pour l'affirmer. Mais en évitant soigneusement les bistouris un peu trop prompts à passer à l'acte. En cette période de difficultés budgétaires, ils se multiplient à vitesse grand V!
source : lefigaro