Cette procédure rare mais pas exceptionnelle, qui a eu lieu récemment à Boston, permet de maximiser les chances du deuxième enfant.



C'est à y perdre son latin: Alexandre et Ronaldo sont jumeaux. Mais l'un est né 24 jours avant l'autre… Un cas survenu à Boston et raconté par le Boston Globe , qui ne serait en fait pas si exceptionnel qu'on peut le penser! Lindalva DaSilva, 35 ans, et Ronaldo Antunes, 40 ans, prévoyaient de devenir à la mi-juin les heureux et (presque) tranquilles parents de deux garçons. Mais le 26 février dernier, à 24 semaines de gestation, Lindalva perd les eaux puis a des contractions. Le travail a commencé. Une situation à hauts risques pour les bébés: nés aussi tôt, ils sont de grands prématurés et leurs chances sont infimes.
Une injection de sulfate de magnésium permet de ralentir les contractions de Lindalva, et des corticoïdes permettent d'accélérer la maturation pulmonaire des bébés. Mais quatre jours plus tard, les contractions repartent de plus belle.

Drôle de procédure

Faute de pouvoir stopper cette naissance, le Dr Sabrina Craigo, du Tufts Medical Center de Boston, propose aux parents une drôle de procédure. Rarement pratiquée et un peu risquée, elle permettrait d'offrir de bien meilleures chances au second bébé. Il s'agit d'accueillir le premier enfant, mais de laisser l'autre dans l'utérus le plus longtemps possible, malgré la naissance de son frère. Lindalva met donc au monde Alexandre, crevette de 700 grammes, aussitôt admis en réanimation néonatale et mis sous ventilateur pour mieux respirer. Quant à sa mère, elle restera à l'hôpital, alitée la plupart du temps, et sous antibiotiques pour éviter tout risque d'infection en attendant que numéro deux pointe son nez.
«L'utérus est la meilleure des couveuses», explique le Dr Bertrand de Rochambeau, vice-président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France. Pas plus étonné que cela par l'affaire de Boston, il explique que si cette procédure n'est pas courante, elle n'est pas exceptionnelle non plus. «Une publication a même fait état de 80 jours gagnés!», renchérit le Pr Philippe Deruelle, secrétaire général du Collège national des gynécologues et obstétriciens, et professeur au CHRU de Lille.

Sac amniotique et placenta

Tout se passe en fait exactement comme quand, au tout début d'une grossesse multiple, la mère expulse naturellement un embryon non viable mais que la croissance du ou des autres se poursuit. «Là, on est dans le même cas, mais cela a lieu plus tard dans la grossesse», explique Bertrand de Rochambeau.
Pour peu que chaque fœtus ait son propre sac amniotique, et même si les enfants partagent un placenta, il suffit de clamper le cordon ombilical du bébé né au plus près du col de l'utérus, et de s'assurer que la mère ne présente aucun signe d'infection. «L'utérus est stérile, mais pas le vagin. Si l'une des poches des eaux s'est rompue, des bactéries peuvent remonter et une infection peut se développer», explique le Pr Deruelle.

«Gagner deux semaines, c'est capital pour l'enfant»

Lors des naissances gémellaires, les contractions peuvent tout à fait cesser et le col de l'utérus se refermer après l'expulsion du premier enfant. On prend d'ailleurs soin de l'empêcher si la grossesse est à terme, car le risque est alors trop grand pour le bébé resté dans l'utérus. Autrefois, la maman pouvait attendre des heures son deuxième enfant…
Mais à moins de 30 semaines de gestation, le fœtus n'est pas assez développé. «Gagner deux semaines ou plus, c'est alors capital pour le devenir de l'enfant», note Bertrand de Rochambeau. «C'est un tel bénéfice que cela vaut le coup de tenter sa chance, même si l'on ne gagne que quelques heures», renchérit le Pr Deruelle.

Ronaldo naît

À Boston, Lindalva tiendra 24 jours, mis à profit par son bébé pour se développer un peu plus. Fin mars, après 28 semaines et 1 jour de gestation, Ronaldo naît enfin, pesant 500 grammes de plus que son frère 24 jours plus tôt.
Aujourd'hui, les deux nourrissons vont aussi bien que possible. Ils resteront suivis plusieurs années: «On attend l'âge de l'entrée à l'école pour affirmer qu'il n'y a pas de séquelle cognitive, et même davantage pour s'assurer que rien d'autre n'est déréglé, par exemple au niveau hormonal», précise le Dr de Rochambeau.
Les jumeaux de Boston ont grossi, respirent normalement, commencent à boire au sein ou au biberon. Chacun, déjà, manifeste son caractère, raconte la maman: Alexandre hurle s'il a faim, quand son frère se contente d'un doux miaulement. Ils pourraient rentrer chez eux vers la mi-juin, période à laquelle ils auraient dû naître. «L'un de nos jumeaux est né en hiver, l'autre au printemps», résume la jeune maman. Il lui restera à peaufiner son discours pour expliquer pourquoi ses jumeaux ont partagé son utérus, mais pas leur gâteau d'anniversaire.

Placenta, sac amniotique: qui partage quoi?

Les vrais jumeaux, dits monozygotes, naissent de la division accidentelle du même œuf, issu des amours d'un unique spermatozoïde avec un ovule. Le degré d'intimité des embryons dépend du stade de développement auquel l'œuf se sépare en deux.
Dans un tiers des cas, le partage se fait dans les deux premiers jours après la fécondation. Les jumeaux ont alors chacun un placenta, chacun un sac amniotique. Dans 70% des cas, l'œuf se divise entre le 3e et le 7e jour ; les bébés en devenir partagent le même placenta mais grandissent chacun dans leur propre sac amniotique. Enfin, 1% des œufs se séparent très tardivement (après huit jours) et les bébés partagent le même placenta et le même sac amniotique.
Quant aux «faux» jumeaux (dizygotes), ils se développent à partir de deux fécondations survenues simultanément et ne partagent donc rien de plus que le même utérus: chacun a son propre placenta et son propre sac amniotique.
source : lefigaro