Une méthode de procréation médicalement assistée un peu particulière a été préconisée en Grande-Bretagne. Elle vise à ce qu'un bébé puisse avoir trois parents biologiques... Pourquoi ?


Pour prévenir la transmission d’une mutation génétique, une méthode de procréation médicalement assistée utilisant trois ADN pourrait être autorisée. Credit : Philippe Huguen / AFP

Pour prévenir la transmission d’une mutation génétique d’origine maternelle responsable d’une maladie sévère, la Grande-Bretagne autorisera-t-elle qu’un embryon humain puisse être génétiquement modifié ? Plus précisément, qu’il résulte de la rencontre de trois ADN, celui de sa mère, de son père et d’une autre femme ? Ou pour le dire plus simplement qu’un bébé puisse avoir trois parents biologiques ?
Cette méthode de procréation médicalement assistée à visée préventive a été préconisée mardi 3 juin par l’autorité britannique de régulation des méthodes de procréation, la Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), qui avait été sollicitée sur cette délicate question par le ministère de la santé. Il s’agit d’éviter que l’enfant hérite de sa mère d’une mutation portée sur le génome mitochondrial.
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Les mitochondries sont des structures ovales présentes dans le cytoplasme des cellules. Elles jouent un rôle central dans le métabolisme énergétique cellulaire. Or, une des particularités de ces sous-unités, véritables centrales à énergie, est de posséder leur propre génome, appelé ADN mitochondrial, dont la transmission est exclusivement maternelle. L’ADN mitochondrial (ADNmt) diffère donc par sa localisation de l’ADN dit nucléaire, celui contenu dans le noyau de la cellule. Les gènes de l’ADNmt sont dédiés à la production de protéines constitutives d’un très important système enzymatique : « la chaîne respiratoire ».  
Les maladies mitochondriales sont les pathologies métaboliques héréditaires les plus fréquentes. Elles sont dues à un dysfonctionnement de la chaîne respiratoire mitochondriale. La présentation de ces maladies sévères, sans traitement curatif à ce jour, est très hétérogène. En effet, elles se traduisent selon les cas par une maladie neurologique (notamment par des syndromes complexes ou combinés), neuromusculaire (myopathie mitochondriale létale infantile), une surdité et une épilepsie, une maladie ophtalmologique responsable d’une baisse brutale de la vision (neuropathie optique héréditaire de Leber), cardiaque (cardiopathie hypertrophique), rénale. Certaines de ces pathologies, touchant souvent plusieurs organes, sont potentiellement mortelles durant l’enfance. D'une mutation à l'autre, le spectre de la maladie est donc extrêmement variable.
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Cette méthode permet à la mère de ne transmettre à son enfant que son ADN nucléaire, son ADN mitochondrial étant remplacé par celui d’une femme saine (donneuse d’ovocyte).

La technique, développée à l’Université de Newcastle, consiste à retirer le noyau d’une cellule (provenant d’une femme porteuse d’une mutation mitochondriale) pour le transférer dans une cellule d’une femme saine dont on a retiré le noyau. La cellule donneuse ne contient alors plus son ADN nucléaire, remplacé par celui de la mère, mais conserve son propre ADN mitochondrial. Cet ovocyte manipulé a donc deux ADN (nucléaire et mitochondrial) provenant de deux femmes (la mère et la donneuse d’ovocyte). Après fécondation par le sperme du père, il en résulte un embryon qui renferme trois ADN provenant de deux femmes et d’un homme.
Au total, le bébé résultant d’une telle manipulation contiendra l’ADN de trois personnes : de son père et sa mère pour ce qui est de l’ADN nucléaire mais aussi d’une autre femme donneuse de son ADN mitochondrial. Ce dernier sera transmis aux générations suivantes lorsque l’enfant, une fois devenu adulte, aura l’âge de procréer.
Deux techniques dites de « transfert nucléaire » peuvent être utilisées selon le stade de développement de la cellule dans laquelle le noyau est prélevé : un ovocyte mature ou un embryon fécondé au stade de cellule œuf (ou zygote).
Le rapport de l’Autorité britannique sur la fertilisation et l'embryologie humaine (HFEA) conclut que cette méthode de fécondation in vitro à trois parents « n’apparaît pas ne pas être sûre » [not unsafe] et qu’elle est« potentiellement utile » pour un groupe de femmes spécifiques. Le panel d’experts britanniques ajoute que les données disponibles ne permettent pas cependant de privilégier une des deux techniques de transfert nucléaire et surtout que d’autres expériences, notamment sur des embryons humains en laboratoire, seront nécessaires.
C’est la troisième fois que les experts de la HFEA se prononcent en faveur de cette approche. Si elle était utilisée, la Grande-Bretagne apparaîtrait en leader mondial de la FIV en matière de prévention de la transmission des maladies mitochondriales. Ce panel avait déjà émis un avis positif sur cette question en 2011 et 2013.
Le gouvernement britannique espère qu’une nouvelle législation sera adoptée au parlement d’ici la fin de l’année qui autorisera la FIV à trois ADN. Une technique qui pourrait être utilisée d’ici deux ans pour des femmes dont l’histoire génétique familiale montrerait un risque significatif de transmettre une maladie mitochondriale particulièrement sévère. La détermination des patientes susceptibles de bénéficier de cette technique nécessitera la participation de biologistes de la reproduction mais aussi des spécialistes du conseil génétique en matière de maladies mitochondriales, un contexte très différent de celui de toutes les autres affections génétiques transmissibles par mutation de l'ADN nucléaire.
Chaque année, dix femmes (conductrices d'une mutation de l'ADN mitochondrial, mais non forcément malades) pourraient avoir recours en Grande-Bretagne à cette méthode de transfert nucléaire. 
Cette technique de modification du patrimoine génétique de l’ovocyte ou de l’embryon, qui s’apparente à celle du clonage (où l’on remplace également le noyau d’une cellule par un autre), n’est pas sans poserd’évidentes questions éthiques, mais aussi scientifiques. En effet, comme me le précise le Dr Jean-Paul Bonnefont, chercheur à l’Inserm (Hôpital Necker-Enfants, Paris), il n’est pas impossible que la triple origine parentale des ADN puisse avoir des conséquences sur les interactions entre noyau et mitochondrie. En d’autres termes, la question se pose de savoir si l’introduction d’un ADN mitochondrial provenant d’une femme différente de celle dont provient l’ADN nucléaire peut entraîner une perturbation du dialogue entre mitochondrie et noyau. Avec quelles conséquences potentielles à long terme ?
Aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) réfléchit également à l’éventualité d’utiliser cette procédure de micromanipulation à visée préventive. Elle a récemment conclu qu’ « il n’existe probablement pas suffisamment de données aussi bien chez l’animal qu’in vitro pour se lancer dans des essais cliniques ». Il importe selon elle au préalable derésoudre d’autres questions portant sur l’expérimentation animale (pourcentage non négligeable de perte d’embryons micromanipulés par défaut d’implantation, notamment) que d’autres relevant de recherche fondamentale.   
Selon le type de cellule, le nombre de copies de l’ADNmt par cellule varie de quelques dizaines à plusieurs centaines de milliers. Une mutation de l’ADNmt peut être présente dans toutes les copies d’ADNmt d’un individu ou coexister avec des copies portant la séquence sauvage (non porteuse de la mutation délétère) dans des proportions variables. Il peut ainsi exister au sein d’une même mitochondrie des molécules d’ADN normales et d’autres porteuses de la mutation responsable d’une maladie. Schématiquement, celle-ci sera plus ou moins grave selon le taux de molécules d’ADNmt muté dans les cellules.

Aujourd’hui, en France, une méthode de diagnostic préimplantatoire généralement réalisée sur l’embryon conçu in vitro au stade de blastomère à  8 cellules (3 jours après fécondation) existe pour dépister précocement les maladies mitochondriales et n’implanter que les embryons ne possédant pas de mutation ou ne présentant qu’un faible taux (inférieur à 30%) de molécules d’ADNmt porteuses de la mutation par rapport à la totalité de l'ADN mitochondrial. Cependant, dans les cas où la mutation est présente dans toutes les copies de l’ADNmt, les femmes n’ont pour seul recours que le don d’ovocyte. 
En Grande-Bretagne, les enfants nés par la technique de transfert nucléaire ne seront pas autorisés à connaître l’identité de leur « troisième parent », autrement dit de leur « seconde mère ».
Ce jour-là, sans doute pourra-t-on parler d’enfants issus de familles génétiquement recomposées, dont une des deux mères restera à jamais anonyme. De l’ADN nucléaire ou mitochondrial, lequel aura le plus de place dans la parentalité dans ce contexte génétique particulier ?

source : Marc Gozlan, journaliste
auteur du blog RÉALITÉS BIOMÉDICALES